Écouter Haendel, Scarlett et Philippe Reliquet

9782070135288_1_75Écouter Haendel
de Scarlett et Philippe Reliquet
(Editions Gallimard)
Paru en octobre 2011
176 pages / 14,20€

Résumé :

Elle s’appelle Garance. C’est une petite fille d’une dizaine d’années aux yeux d’un bleu presque transparent qui, quand elle pose sur lui un regard d’une fixité inquiétante, peut désarçonner celui qui en est l’objet. C’est une petite fille un peu gauche, qui n’aime rien tant qu’écouter en boucle la plage quatre du cd d’Haendel que ses parents, Scarlett et Philippe Reliquet, lui ont offert après avoir perçu le lien intime que Garance semblait entretenir avec le compositeur anglais ; mais aussi avec la chanteuse de fado Amalia Rodriguez, découverte dans sa petite enfance au Portugal, ou encore les notes de musique ukrainienne que font retentir un groupe de musiciens régulièrement croisé dans le métro parisien. C’est une petite fille dont les crises inattendues peuvent éclater d’un moment à l’autre et surtout lorsqu’on lui refuse l’objet convoité ou que son monde est perturbé par un changement d’habitude, ou encore l’intrusion d’un visage inconnu. Mais c’est aussi une petite fille dont les rires et le « second degré », tout comme les innombrables photos qu’elle prend, avec un sens du détail étonnant, illuminent la vie de ses parents comme de leurs amis de toujours et des étrangers croisés au gré des lieux fréquentés.

Critique :

Ainsi, Garance est avant tout une petite fille comme les autres. C’est le sentiment le plus fort qui envahit celui qui referme ce livre composé à quatre mains par les parents de Garance : depuis sa toute petite enfance, où s’exprimait l’angoisse quotidienne de saisir que leur fille était différente, à aujourd’hui, où ils oscillent entre la découverte toujours émerveillée d’une gosse surprenante qu’ils continuent à aimer et apaiser, et l’inquiétude devant ce que leur enfant deviendra, une fois adulte. Écouter Haendel n’est ainsi ni un véritable témoignage, encore moins un manifeste des parents d’une petite fille dite autiste. Il est bien plus que cela : chapitre après chapitre, à travers la description des habitudes de l’enfant, la découverte, au fil des années, de ses difficultés, la certitude qui s’installe qu’elle ne sera jamais comme les autres, mais aussi l’espace d’amour et de création ouvert par l’absence de réponse des divers spécialistes rencontrés, c’est d’abord le portrait d’une enfant extrêmement sensible et poétique qui se dégage. Tout comme celui d’un couple qui se sauve par l’écriture et la composition de ce récit, celui d’une famille qui s’élargit avec l’arrivée du petit frère de Garance.

De ce portrait, des traits saillants émergent : comment Garance renifle feutres ouverts comme nouveaux visiteurs, comment elle se bouche les oreilles lorsqu’elle est envahie par une trop grande émotion, comment elle peut mordre ses parents jusqu’au sang lorsqu’ils profèrent telle interdiction, lorsque ce n’est pas contre elle-même qu’elle retourne son agressivité. Mais jamais Scarlett et Philippe Reliquet, tout comme le cercle des amis qui les soutiennent dans la rencontre avec l’enfant, ne la réduisent à ce que certains nomment « handicap », et qui devrait avoir pour conséquence de traiter la fillette autrement : éviter de la vêtir comme les autres enfants, par exemple, au prétexte que le jogging est le pantalon le plus pratique et que les bijoux peuvent la blesser. Ainsi, de même que Georges Itard fit accueil à la singularité de l’enfant sauvage mis en scène par François Truffaut pour en faire émerger un sujet, Scarlett et Philippe Reliquet s’enseignent de leur fille : son rapport intuitif et sensitif à l’autre, aux inconnus en particulier, son incompréhension de la mort et comment elle demande à déposer de la nourriture sur la tombe de sa bonne maman, retrouvant certains gestes ancestraux de l’humanité. Cette ouverture à la communauté des hommes, c’est à travers l’art – musique, chansons, films, et écriture de ce livre, aussi – que les parents font le choix de la garantir. Comme Sisyphe condamné à pousser en haut de la colline le rocher qui immédiatement dévalera ad vitam aeternam ses pentes, les parents de Garance ont l’intuition qu’ils ne cesseront, dans l’accompagnement de leur fille, de passer de la joie des ses nouvelles acquisitions aux déceptions et à l’intuition de tout ce qu’elle ne sera jamais. Mais Sisyphe, c’est également Garance, enfermée dans sa perception du monde et ses rituels immuables.

Et pourtant, tout ce livre témoigne d’un pari, profondément touchant : comme Camus avait envisagé le sujet humain dans son humble condition à l’image d’un Sisyphe joyeux, « il faut imaginer Garance heureuse ».

Virginie Leblanc

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